Pour redresser le taux d’inflation devenu négatif, la Banque centrale européenne mise avant tout sur la dévaluation de l’euro. Sans le dire, mais personne n’est dupe. La hausse des prix importés et le soutien des exportations lui apparaissent en effet comme le moyen d’action le plus approprié pour tirer les prix vers le haut alors même que des facteurs beaucoup plus fondamentaux sont à l’œuvre : mondialisation exerçant une pression constante sur les coûts de production, ralentissement de la croissance mondiale, politiques d’austérité inscrites dans les Traités européens. A chaque annonce de la BCE, la réaction du marché des changes est ainsi scrutée par les investisseurs. Ce sera à nouveau le cas après la réunion du conseil des gouverneurs, jeudi 10 mars.
En apparence, même si depuis l’été 2014 l’objectif d’une remontée du taux annuel d’inflation est loin d’avoir été atteint (- 0,2 % en février 2016, + 0,3 % en août 2014 ; respectivement + 0,7 % et
0,9 % hors énergie et alimentation), l’objectif de dévaluation de l’euro semble en revanche l’avoir été. Alors que banques centrales américaine et européenne ont mis en place des politiques
monétaires divergentes, la première plus restrictive, la seconde plus accommodante, le cours de l’euro face au dollar est passé de 1,36 à 1,10 (cours moyen sur les quatre derniers mois), soit une
baisse assez spectaculaire de 19 %.
Mais derrière ce chiffre qui comble de satisfaction certains de nos dirigeants politiques, se cache une réalité toute différente...
Lorsque l’on analyse le taux de change « effectif » nominal, c’est-à-dire le taux de change pondéré par la structure des échanges, donc tenant compte des variations des monnaies locales, on constate
qu’au cours de la période allant d’août 2014 à fin 2015 la réévaluation effective du dollar pour les Etats-Unis est de 21 %, la dévaluation effective de l’euro pour la zone euro n’est que de 4 %
seulement, et de 2 % pour la France !
Ces chiffres montrent que la variation de la parité euro-dollar sur laquelle chacun porte son attention correspond plus à une réévaluation du dollar par rapport à l’ensemble des monnaies dans le
monde qu’à une baisse de l’euro. Pour la France, l’ajustement monétaire est de l’épaisseur du trait. La baisse dont elle a besoin pour compenser la hausse des coûts de production des quinze dernières
années est loin d’être là. Pour l’Allemagne, le coup de pouce monétaire, même modeste, contribue à l’augmentation des excédents courants qui sont désormais à des niveaux inédits : entre 8 et 9 % du
PIB en 2015 et 2016 ! Keynes, qui blâmait les excédents courants excessifs autant que les déficits, aurait porté un jugement bien sévère sur cette dérive…
Le 10 mars, lors de la réunion du Conseil des gouverneurs, le Président de la BCE pourrait annoncer de nouvelles mesures de politique monétaire. Prendra-t-il le risque d’accroître à nouveau la
création monétaire et de favoriser les bulles financières qui l’accompagnent alors que, dans le même temps, les effets de cette politique sur l’économie réelle laissent pour le moins perplexe ? La
BCE ne s’inquiétait-elle pas elle-même de l’émergence de ces bulles dès le printemps 2014 en évoquant « une liquidité abondante » au niveau mondial (Revue de la stabilité financière) ? Danièle Nouy,
présidente du Mécanisme de supervision unique (MSU), ne vient-elle pas de mettre en garde sur un risque de « retournement brutal » ? Lorsque les taux sont à zéro, voire négatifs, le risque est grand
que les liquidités déversées sur les marchés par la banque centrale ne s’orientent vers les actifs financiers les plus risqués, puisqu’ils sont les seuls à présenter une rentabilité convenable.
A la différence de ce qui se passe aux Etats-Unis, où la Réserve Fédérale s’interdit toute immixtion dans la sphère gouvernementale, les dirigeants des banques centrales européennes ont parfois la tentation d’occuper le terrain des gouvernements, en leur prodiguant de multiples conseils en matière de réformes structurelles et d’intégration politique. Le plus urgent serait peut-être qu’ils nous convainquent de la pertinence de leur propre politique.
Le Monde 9 mars 2016